domingo, 3 de enero de 2010

David Hume et la question de l'objectivité de la connaissance

INTRODUCTION
La philosophie tout au long de son histoire se préoccupe du problème de la connaissance, celle-ci définie comme une union intentionnelle entre le sujet pensant et l’objet pensé. Ainsi chacun parmi les chercheurs et penseurs de toutes les périodes de la philosophie semble se mobilisé sur la quête du savoir ou de la vérité. C’est ainsi que, des présocratiques jusqu’aux philosophes contemporains, la question sur l’objectivité de la connaissance nourrit les débats et l’on voit alors des systèmes de connaissance se construire les uns sur les autres et parfois même contre les autres. La question fondamentale demeure celle-ci : qu’est-ce que l’homme peut connaître et comment ?
A cet effet, Les systèmes rationalistes jusqu’à la période moderne ont postulé à la construction d’une connaissance apodictique et définitive car ils pensent que l’homme à travers la raison peut arriver à une connaissance certaine, universelle et absolue. C’est le cas de Descartes avec sa Mathesis universalis et de Newton avec sa physique quantique pour ne citer que ceux-là. De l’autre côté se dressent les empiristes qui posent l’expérience et l’observation comme seules voies de la connaissance. David Hume l’un des éminents penseurs de l’empirisme pour répondre à cette question va ériger une science dite science de la nature humaine à partir de la méthode expérimentale de raisonnement. Cette science se basera uniquement sur les opérations de l’esprit pour fonder la connaissance. Ramenant la raison au second plan au profit de l’imagination, l’empirisme de Hume va déboucher au scepticisme.
Notre présente étude consistant à faire ressortir le positionnement de la pensée humienne sur le problème de l’objectivité de la connaissance, il s’agira pour nous de montrer l’originalité de l’empirisme de Hume à cette question : Dans quelle mesure est-il critique et où réside son scepticisme ? Pour ce faire nous partirons d’une analyse de sa théorie de la connaissance notamment sa théorie des idées et sa conception de la causalité afin d’en desceller le caractère critique et sceptique de sa pensée. Une évaluation critique nous permettra de mesurer la pertinence de sa pensée en matière de connaissance dans l’évolution de la pensée philosophique moderne et contemporaine.
I LA THEORIE DES IDEES
I.1 L’origine des idées.
Déterminer l’origine des idées chez Hume revient à répondre à la question : d’où procède la connaissance humaine ? Il critique la théorie de l’innéisme car d’après lui, on peut diviser les perceptions de l’esprit en deux espèces par la différence de force et de vivacité : idée et impression. Mais, qu’est-ce que les idées ? Chez ce philosophe empiriste, les idées ne sont rien d’autres que les copies des impressions de l’esprit. Ce sont les représentations des données sensibles. Il considère que les impressions sont plus vives que les idées, voilà toute la différence entre idée et impression : « Toutes nos idées ou perceptions plus faibles sont des copies de nos impressions plus vives »[1]. Ainsi, quand nous réfléchissons à nos affections et sentiments, notre pensée est un miroir fidèle, elle copie les objets avec vérité, mais en ayant une faible, pale idée des couleurs qu’elle emploie en comparaison des couleurs originelles.
Les impressions et les idées sont toutes des perceptions à degrés divers. La connaissance humaine est donc le résultat des impressions sensibles, d’où l’empirisme humien qui fait procéder toute la connaissance de l’expérience sensible. Cela signifie que l’évaluation de la vérité de nos idées doit provenir du lien génétique avec l’impression dont elles sont issues, « les impressions représentent les plus vives perceptions quand nous entendons, voyons, touchons, aimons, haïssons, désirons ou voulons »[2]. Venant des impressions et par conséquent de ce qui est particulier, contingent et même accidentel, nos idées se distinguent en idées simples et en idées complexes (il y a transition entre impression et idée, donc une impression n’est pas une idée). Exemple, le rêve et la folie.
Les idées simples viennent toujours d’impressions simples venant de l’expérience comme des manières de sentir ou sentiment antérieurs. Il n’ya aucune idée simple sans impression qui la précède. Hume exprime par là même qu’il n’existe pas d’idées innées, selon lui : « Toutes nos idées simples, à leur première apparition dérivent d’impressions simples, qui leur correspondent et qu’elles représentent exactement ».[3]
Les idées complexes
En analysant les idées, Hume va arriver à la théorie nominaliste des idées abstraites et de la notion de substance. Cette théorie aura alors un grand rôle quand à l’examen de la genèse de toutes notions générales. Il fait de chaque idée une idée particulière. La généralité de l’idée est une qualité qui lui est ajoutée parce que par cette qualité, l’esprit collectionne des objets et par conséquent des impressions qu’il place sous un seul terme. Or, par exemple, nous n’avons pas l’idée de la table, mais plutôt une idée de tel objet particulier avec une certaine forme, une certaine couleur, une certaine taille. Nos idées sont des produits de la mémoire et de l’imagination (rappel des impressions passées et formation à l’esprit de l’image d’un objet existant ou possible). L’imagination entendue comme essence de la pensée, permet d’inventer des idées nouvelles à partir des idées simples. Par combinaison des idées existantes, elle « rend compte du processus d’abstraction et de la production des idées générales, qui sont des combinaisons d’idées particulières auxquelles on joint un nom »[4]. L’imagination favorise l’anticipation des évènements futurs. (Les impressions nous renvoient à la nature objective).
I.2 La connexion des idées.
C’est avec une évidence que David Hume affirme « qu’il y a un principe de connexion entre les différentes pensées et idées de l’esprit ; celles-ci apparaissent à la mémoire ou à l’imagination en s’introduisant les unes les autres avec certains degrés de méthode et de régularité »[5]. Ceci dit, c’est la méthode qui favorise la combinaison des idées dans la mémoire et nous comprenons alors que, empiriste de son état, l’auteur ne peut que faire allusion ici de la méthode inductive qui consiste à aller du particulier au général. Les idées simples comprises dans les idées complexes y sont liées par un principe d’influence égale sur tous les hommes, principe universel. Les principes de connexions entre les idées qui servent à les unir se recoupent ainsi en trois :
- La relation de ressemblance où un tableau ou une image quelconque conduit à la pensée originale.
- La relation est contiguïté dans le temps et dans l’espace, par exemple la mention d’un appartement dans une maison introduit naturellement une conversation sur les autres appartements.
- La relation de cause à effet, penser à une blessure fait penser à la douleur qui l’accompagnait lors de l’impression.
Cette dernière connexion est plus importante et instructive, puisque la connaissance des causes et la plus satisfaisante « c’est cette connaissance seule, dit l’auteur, qui nous rend capable de dominer les évènements et de gouverner l’avenir »[6]. Par là, nous voyons que même les évènements d’une histoire sont reliés entre eux et par conséquent du berceau à la tombe, toutes les actons d’un homme dépendent les unes et les autres. Rompre un seul maillon serait alors affecter toute la série des évènements. Nous constatons aussi que Hume part vraiment de la vie quotidienne qu’il observe minutieusement au point de bien remarquer les différentes connexions qui la régissent, c’est alors qu’il peut s’exprimer en ces termes : « la forte connexion des évènements, puisqu’elle facilite le passage de la pensée ou de l’imagination de l’un à l’autre, facilite aussi la transfusion des passions et maintient toujours les affections dans la même ligne et dans la même direction »[7]. Toutes productions doivent avoir selon lui, une certaine unité (théâtres, poésies) et l’unité d’une action diffère d’une telle autre par le degré et non par le genre.
II LA NOTION DE LA CAUSALITE
D’un esprit critique et scientifique, Hume a élaboré une pensée dont les notions essentielles sont la notion de la substance et celle de la causalité (comprise comme la relation de la cause à effet). Cette pensée va donc changer la préoccupation classique de la philosophie. Du problème de l’Etre, la philosophie de Hume va s’atteler beaucoup plus sur le problème du savoir, celui de la connaissance humaine : Qu’est-ce que connaître ? Comment connaissons-nous ?
Ainsi, à la suite de John Locke (1632 - 1704) et d’Isaac Newton (1642 - 1727) qui concevaient l’appréhension (ou l’entendement) dans l’expérience sensible à partir des idées sensibles autrement appelées "phénomènes", David Hume (1711 - 1776) va poser le problème de la causalité comme ce qui est établi entre l’univers empirique et le monde théorique. Aussi, ayant considéré la causalité comme un lien nécessaire qui unit les deux phénomènes (cause et effet), Hume se demande comment on peut appréhender ce lien.

II.1 La nature de la causalité
« Il y a deux façons de traiter la relation causale ; a priori ou a posteriori »[8], affirme M. Malherbe. Ainsi, l’on ne peut séparer, comme c’est le cas chez Hume, la notion de causalité (la relation causale ou encore le principe de causalité) de celle de l’expérience. C’est pourquoi Hume lui-même affirme :
« Tous les raisonnements sur les faits paraissent se fonder sur la relation de la cause à l'effet. C’est au moyen de cette seule relation que nous dépassons l’évidence de notre mémoire et de nos sens […]. J’oserai affirmer, comme une proposition générale qui n’admet pas d’exception, que la connaissance de cette relation ne s'obtient, en aucun cas, par des raisonnements a priori; mais qu'elle naît entièrement de l'expérience »[9].
Autrement dit, seule l’expérience peut fournir l’idée de la relation causale. Dès lors, il s’agira, pour Hume, de rendre compte de cette relation de cause à effet : Comment arrive-t-on à la connaissance de cette relation ?
Si Hume s’intéresse à la causalité, c’est d’abord pour critiquer la conception donnée par ses prédécesseurs notamment les rationalistes classiques tels qu’Aristote. D’où certains questionnements, fruit de son empirisme critique : Est-il toujours vrai qu’une cause donnée aboutisse à un effet donné, connu ou préétabli ? Est-ce qu’à chaque cause correspond un effet connu par avance? Jusqu’ici, nous avons constaté que Hume ne se limite pas seulement à définir le principe de la causalité comme relation de cause à effet, mais il introduit également une nouvelle conception de cette relation en affirmant qu’il serait impossible de déduire a priori l’effet à partir d’un phénomène, déjà connue. En effet, pour lui, la relation causale ne peut s’établir qu’après l’expérience, c’est-à-dire après l’observation des faits. C’est pourquoi il va porter également beaucoup d’attention sur l’expérience tout en voulant la dépasser à partir d’elle-même. C’est donc par ce dépassement que Hume justifie sa conception de la causalité. Mais une question lui sera restée : « Quel est le fondement de nos conclusions tirées de l’expérience ? »[10]. L’une des solutions à cette inquiétude, il la tient de son analyse de l’expérience qu’il considère comme la source de toute connaissance.
II. 2 L’expérience comme source de connaissance
Dans sa théorie, Hume n’a cessé de voir dans l’expérience l’unique source de toute connaissance car, en élaborant son œuvre qui porte nécessairement sur la connaissance humaine, il veut fonder une nouvelle théorie qui prime sur toute autre forme de connaissance. Il accorde ainsi une grande importance à l’observation des faits, c’est-à-dire à l’expérience qui, pour lui, garantit la connaissance de tout homme. Ainsi affirme t-il : « Toutes les lois de la nature et toutes les opérations des corps sans exception se connaissent seulement par expérience »[11].
Cette tendance que la Tradition philosophique connaît sous le vocable d’Empirisme, théorie qui, renvoyant à l’étymologie grecque empeiria, fait de l’expérience la source unique de la connaissance, l’amène à l’analyse des phénomènes et à établir des arguments sur la succession des faits observés. En effet, dans son traité intitulé Enquête sur l'entendement humain, Hume est convaincu que c’est à partir d’observations répétées et vérifiées des faits que l’homme acquiert la connaissance. Mais il affirme par ailleurs que cette même expérience reposée sur l’observation répétée définit aussi les limites de la connaissance. D’où la question précédemment posée de savoir quel sera le fondement de nos conclusions issues de l’expérience.
Ainsi, comme la seconde résolution à cette préoccupation centrale de sa théorie de la connaissance, Hume n’hésite pas à préciser que ce soit le principe de l’accoutumance qui seul fonde et garantit l’expérience, car ce principe est « le grand guide de la vie humaine, autant que de l’expérience »[12]. Et alors, puissions-nous nous fier aux seuls faits de nos habitudes ordinaires pour connaître réellement ?
II.3 Le principe de l’accoutumance ou de l’habitude
Comme nous l’avons souligné plus haut, la théorie empiriste de Hume ne repose pas seulement sur des considérations sensibles, mais également, sur l’élaboration d’une théorie des idées (ou pensées) qui, suivant leur connexion ou association, se subdivisent en idées simples et en idées complexes. Leur connexion est donc assurée par un certain principe qui, selon lui, doit être universel et d’influence égale chez tous les hommes[13]. En outre, étant donné que : « Rien à première vue, ne peut paraître plus libre que la pensée humaine »[14], Pour Hume cette même pensée dont le pouvoir est de composer les idées a du mal à les admettre avec certitude. Il faut plutôt un autre principe qui puisse déterminer les conclusions issues de notre observation.
Ce principe une fois retrouvée, Hume va l’appeler l’accoutumance ou l’habitude, puisqu’il précise que nul ne peut réellement connaître à partir d’un seul cas : « Après l'apparition des cas semblables l'esprit est porté, par habitude, à l'apparition d'un événement, à attendre celui qui l'accompagne habituellement et à croire qu'il existera »[15], précise-t-il. Autrement dit, c'est seulement lorsque « beaucoup de cas semblables se présentent et que le même objet est toujours suivi du même événement, [que] nous commençons alors à concevoir la notion de cause et de connexion »[16]. Ainsi, pour lui, sans ce phénomène d'habitude, nous ne pourrions jamais régler nos pensées et nos actions, puisque rien ne saurait nous paraître certain. Une fois de plus, Hume considère ce principe de l'accoutumance comme étant « le grand guide de la vie humaine »[17]. C’est pourquoi il en fait non seulement le principe de l’imagination, mais aussi celui de la connaissance humaine. Toutefois, le problème reste de savoir si cette habitude qui demeure au niveau comportemental, peut fixer une règle.
III LE SCEPTICISME DE HUME
III.1 La méthode humienne
Hume a été beaucoup influencé par Locke et Berkeley ses prédécesseur dans l’empirisme, courant philosophique qui pense que l’expérience est la seule source du savoir. Hume s’inspirera surtout de la méthode logique de la science newtonienne et celle-ci consistant « à passer de nos jugements particuliers sur les choses à leur principes plus généraux, principes qui, qui pour chaque science, doivent marquer les limites de toute curiosité humaine »[18]. C’est donc une science inductive qui se construit à partir de l’expérience et de l’observation. Ainsi est-il appelé le Newton de la psychologie. Son ouvrage de base Traité de la nature humaine, est présenté par lui-même comme « un essai d’introduire la méthode expérimentale dans les cas moraux »[19]. L’expérience comme outil de sa pensée philosophique remplace le rôle des mathématiques dans la physique de Newton. Hume est convaincu dans son entreprise philosophique que toutes les sciences dépendent essentiellement de la science de l’homme ou science de la nature. Sa méthode consiste en un examen psychologique des idées ou mieux à l’examen de l’esprit qui pense. Il est question de voir qu’est-ce que le sujet pense réellement et quelle impression produit ses idées. Ainsi soucieux de préserver l’esprit humain de s’égarer dans les hypothèses, il va interroger l’être humain sur tous ses pratiques en particulier dans sa pratique de la science. Mais une science de la nature humaine se révèlera comme le souligne Philippe Saltel dans l’introduction de l’Enquête sur les principes de la morale, qu’en une science d’un être passionnel car tissée d’incertitude[20], la nature humaine étant déterminée chez lui comme imagination.
La tâche de la philosophie sera d’apporter une certaine exactitude à l’activité humaine. Pour cela seule méthode c’est d’enquêter sérieusement sur la nature de l’entendement humain et de montrer par une analyse exacte de ses pouvoirs et capacités, les bornes du savoir[21]. A cet effet, la méthode de Hume se révèle essentiellement comme une critique de la raison, critique qui débouche au scepticisme. Selon lui, la raison « ne peut sans l’aide de l’expérience tirer une conclusion au sujet d’une existence réelle et d’un fait »[22]. Elle est incapable de fonder la connaissance car poursuit-il : « Toutes les lois de la nature, toutes les opérations du corps sans exception se connaissent seulement par expérience »[23]. La science de la nature dont nous propose Hume est limitée à l’expérience et ne peut dépasser ce cadre. L’effort de la raison consisterait tout simplement à simplifier les principes qui produisent les phénomènes naturels et de résoudre les nombreux effets particuliers à un nombre réduit de causes générales au moyen des raisonnements par analogie issue de l’expérience et de l’observation[24].
III.2 Le scepticisme de l’empirisme critique de Hume
L’empirisme de Hume comme nous venons de voir dans notre étude précédente est fondamentalement critique. Il est critique de la connaissance car il veut mettre fin aux prétentions d’une raison qui cherche à tout démontrer. Son objectif consiste à déstabiliser tous les systèmes dogmatiques de son époque en l’occurrence le rationalisme.
Parmi les principaux arguments qui caractérisent son scepticisme critique de Hume, nous notons le refus de l’innéisme, les idées comme nous l’avons vu sont des simples copies affaiblies des impressions. D’où son rejet de l’idée d’une connaissance a priori car il n’admet pas de principes rationnels antérieurs à l’expérience, toutes les idées proviennent de la sensation. Le temps et l’espace selon ne peuvent constituer des formes pures. Il récuse la divisibilité à l’infini de l’espace et du temps puisque pour lui, l’idée de l’étendu n’est pas a priori, elle s’acquiert à partir des sens plus précisément par la vue et le toucher. Et cette dernière n’étant ni tangible, ni visible, ne peut se concevoir et par conséquent est au dessus de notre atteinte. Il pense en effet que « les seuls objets de la science abstraite, de la démonstration, sont la quantité et le nombre »[25]. Toute tentative d’étendre la connaissance au-delà des quantités et nombres n’est que pure illusion. « Si nous raisonnons a priori, pense Hume, n’importe quoi peut paraître capable de produire n’importe quoi »[26]. Ainsi s’annonce la réfutation humienne de la notion de causalité.
Le scepticisme critique humien réside également sur sa critique de la causalité. Hume pense que l’usage de la relation cause à effet dans notre raisonnement est un usage illégitime. Ce n’est que par habitude que nous disons que telle cause engendre tel effet car selon lui « l’esprit ne peut jamais trouver l’effet dans la cause supposée. L’effet est totalement différent de la cause »[27]. L’on ne saurait par un raisonnement a priori justifier le fondement de cette préférence. La causalité devient une habitude mentale et cette réduction de la causalité en un fait psychologique lui ôte toute sa valeur de vérité. Le jugement de causalité pour Hume n’est pas analytique, il est synthétique et affirme une « connexion nécessaire » entre une cause et un effet qui sont radicalement hétérogènes. Cette connexion n’est connaissable ni a priori par déduction, ni a posteriori par expérience. C’est notre croyance en la probabilité qui nous amène à croire qu’une cause produira nécessairement le même effet. La croyance à la causalité relèverait d’un instinct fondé sur notre habitude. Ainsi écrit-il : « il faudrait qu’un homme soit très sage pour pouvoir découvrir par raisonnement que le cristal est l’effet de la chaleur et la glace l’effet du froid, sans être auparavant familiarisé avec l’opération de ces qualités »[28]. Cette critique de la causalité est aussi pour Hume une façon de compromettre la métaphysique qui prétend connaître au-delà des réalités phénoménales. Toutes les idées métaphysiques telles : l’idée de connexions nécessaires, de substance matérielle, de l’unité du monde, de l’identité personnelle, sont remises en cause. Parce que selon lui, tout ce qui ne contient ni des raisonnements abstraits sur les nombre, ni des raisonnements expérimentaux sur des questions de fait et d’existence, doit être tout simplement détruit[29].
Le scepticisme de Hume se présente enfin de compte une critique du réalisme des rationalistes. Pour lui toutes les idées sont partielles, elles ne deviennent générales que lorsqu’elles sont attachées à des termes généraux. Leur association est fondée sur la ressemblance, la contiguïté et sur la relation cause et effet ayant comme principe unique l’accoutumance ou l’habitude. Il pense que la relation de causalité qui est une inférence qui tire à partir d’une existence actuelle, l’existence d’une autre chose, ne se fonde ni sur un raisonnement abstrait ni sur l’expérience car elle (l’expérience) ne montre pas qu’un objet implique un autre. C’est par habitude ou par coutume qu’on arrive à une telle inférence.
Le moi pour Hume n’est « qu’un faisceau ou une collection de différentes perceptions qui se succèdent avec une inconcevable rapidité et qui sont dans un flux et un mouvement perpétuels »[30]. En cela la science de la nature humaine ne peut être par définition qu’antinomique et tous les raisonnements concernant les questions de fait et d’existence réduits à des dégrés divers de probabilités.
IV EVALUATION CRITIQUE
L’empirisme de Hume comme celui de ses prédécesseurs fait ressortir l’importance de l’expérience à l’esprit humain dans la formation de sa connaissance car elle fournit à ce dernier l’objet à penser et le met en contact avec les existants. Ainsi Hume se montre bien soucieux de trouver à l’homme une méthode qui l’aide à ne pas s’égarer dans les hypothèses. Sa critique consistera en une dissolution des savoirs qui prétendent à l’apodicticité de la connaissance et un savoir universel et absolu en particulier le cartésianisme. Le scepticisme de l’empirisme critique se montre moins radical parce qu’il accorde une petite marge à la possibilité de l’homme de connaitre. Sa réfutation de la notion de causalité fera d’ailleurs la gloire de sa pensée en ce sens qu’elle ouvre une nouvelle direction à la pensée moderne et contemporaine. Michel Meyer dira que cette critique de Hume « ouvre la voie à une pensée positive débarrassée de l’apodicticité comme norme exclusive de raisonnement, de savoir et de rapport au monde »[31]. Le tournant critique de Kant dépendra en grande partie de sa rencontre avec la pensée humienne. Ainsi le déclare t-il dans Les prolégomènes à toute métaphysique future : « Je l’avoue franchement, ce fut l’avertissement de David Hume qui interrompit d’abord voilà bien des années, mon sommeil dogmatique et qui donna à mes recherches en philosophie spéculative une toute autre direction »[32].
Seulement même si Kant approuve l’idée empiriste selon laquelle on ne peut tirer de notre expérience de la nature une relation causale dans la mesure où il pense qu’il est impossible à la raison de se comporter métaphysiquement c’est-à-dire valoir pour les choses en soi. Mais il pense au contraire que l’ordre des phénomènes est irréversible dans le temps et le principe de cette détermination fera l’objet de sa recherche. Pour lui nous avons une intuition du temps puisque c’est dans le temps que sont saisis les phénomènes. Ceci l’amènera à poser des connaissances a priori qui ne dépendent pas de l’expérience et des impressions de sens. Concernant le problème de l’innéisme, Kant sans pour autant le nier note tout de même que l’intelligence a le pouvoir de transcender l’objet sensible d’où la capacité d’abstraire. Karl Popper plus tard acceptera une bonne partie des thèses empiristes mais rejettera celle de l’irrationalité. Selon lui les thèses réalistes n’ont rien d’irrationalité.
Ainsi en posant la connaissance uniquement comme incertitude et probabilité et en la bornant uniquement aux objets de l’expérience, Hume enlève à l’intelligence humaine son caractère rationnel qui le distingue de tous les autres êtres. Il dénie à cet effet, l’être humain de sa spontanéité dans la mesure où il s’intéresse au rôle de l’objet en délaissant celui du sujet. C’est en ce sens que s’expliquent bien ces propos de Roger Verneaux selon lesquels, l’empirisme s’il est fidèle à son essence, dégraderait l’homme au niveau de l’animal dans la mesure où il réduit son intelligence au minimum et voir même le méconnaît[33].
CONCLUSION
En définitive, la science de Hume comme science de la nature humaine obéit aux principes fondamentaux de l’empirisme. Dans le but de répondre à la question que pouvons-nous connaître et comment connaît-on ? Il bâtit sa science à partir de la méthode expérimentale basée uniquement sur l’expérience et l’observation. La philosophie de Hume se présente finalement comme critique et sceptique. Car elle met un frein à la possibilité d’une connaissance certaine, absolue et universelle telle que nous ont laissé croire les systèmes qui l’ont précédé en occurrence la mathesis universalis cartésienne et la mécanique quantique newtonienne. L’objectivité de la connaissance devient une simple illusion puisque toutes les sciences d’après Hume dépendront de la science de l’homme et dont le seul fondement solide réside dans l’expérience et l’observation. Et la nature humaine étant définie chez lui comme imagination et non raison, toute connaissance humaine ne pourra dès lors se poser qu’en termes d’incertitude et de probabilité.
S’il faut s’en tenir à la problématique de notre cours portant sur l’objectivité de la vérité scientifique, Hume nous apparaît moins indiqué pour y apporter une réponse satisfaisante. Sa pensée critique et sceptique nous apparaît comme une sorte de philosophie à la fois populaire et scientifique puisqu’elle part des réalités de la vie concrètes des vécus de l’homme. En plus elle pose l’homme comme par essence passion et présentant la raison presque inactive dans la quête du savoir. Il convient tout de même de noter que l’empirisme sceptique de Hume à travers sa critique de l’innéisme, de la raison, de la causalité et bref du réalisme des rationalistes, aura une grande influence sur la postérité. En effet, le scepticisme de l’empirisme critique de Hume apportera une orientation nouvelle à la philosophie, orientation qui a par exemple réveillé Kant de son sommeil dogmatique et a donné une direction à la phénoménologie husserlienne.
BIBLIOGRAPHIE
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[1] B.NOELLA & J.LAFFITTE, Dictionnaire des philosophes, Paris, Armand Colin, 2000, p. 153.
[2] D. HUME, Enquête sur l’entendement humain, Paris, GF-Flammarion, 1988, p. 64.
[3] D. HUME, Traité de la nature humaine, tome 1, cité par J.RUSS, Philosophie : Auteurs et œuvres, Paris Bordas, 1996, p. 197.
[4] E. & all, Pratique de la philosophie de A à Z, Paris, Hatier, 1994, p. 160.
[5] D.HUME, Enquête sur l’entendement humain, Op.cit., p71.
[6] Ibid., p. 74.
[7] Ibid., p. 76.
[8] MALHERBE M., Qu’est-ce que la causalité ? Hume et Kant, Paris, Vrin, 1994, p. 23.
[9]D. HUME, Enquête sur l’entendement humain, Op.cit., p. 86 – 87.
[10] Ibid., p. 23.
[11] Ibid., p. 88.
[12] Ibid., p. 23.
[13] Cf. Ibid., p. 71.
[14] Ibid., p. 64.
[15] Ibid., p. 142.
[16] Ibid., p. 145.
[17] Ibid.,p. 107.
[18] E. BREHIER, Histoire de la philosophie II. XVII – XVIIIe siècles, paris, Puf, 1990, p. 357.
[19] D.HUME, Enquête sur les principes de la morale, Paris, G.F Flammarion, 1991, p. 8.
[20] Cf. Ibid., p. 56.
[21] Cf. D. HUME, Enquête sur l’entendement humain, Op.cit., p. 54.
[22] Ibid. p. 87.
[23] Ibid. p. 88
[24] Cf. Ibid. p. 90.
[25] Ibid. p. 245.
[26][26] Ibid. p. 246.
[27] Ibid., p. 89.
[28] Ibid. p. 91.
[29] Cf. Ibid. p. 247.
[30] D.HUME, Traité de la nature humaine, in R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie moderne, Paris, Beauchesne, 1957, p. 130.
[31] M.MEYER sous la dir., La philosophie anglo-saxonne, Paris, Puf, 1994, p. 33.
[32] E.KANT, Prolégomènes à toute métaphysique future,
[33] Cf. R.VERNEAUX, Epistémologie générale ou critique de la connaissance, Paris, Beauchesne, 1959, p. 36.

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